Nexhmije Hoxha
Intervention au Séminaire de Bruxelles

1er mai 1998

Chers Camarades,

Après avoir connu plusieurs années d'isolement en prison et avoir ensuite été empêchée de prendre part à la vie politique et publique, j'ai le grand plaisir de participer à cette réunion avec des amis sincères d'Albanie et les camarades de notre unique idéal, le marxisme-léninisme.

Je profite de cette occasion pour vous saluer et vous remercier, vous et vos parties ainsi que les groupes que vous représentez, de l'appui que vous avez donné à mon pays et à nous tous, les communistes albanais, aux moments les plus difficiles que nous avons subis et que nous subissons encore.

Permettez-moi de saluer et de remercier spécialement les camarades du PTB et le camarade Ludo Martens pour l'honneur qu'on m'a fait de m'inviter aux manifestations du cent-cinquantième anniversaire du Manifeste du Parti communiste ainsi qu'à ce séminaire.

Le thème de ce séminaire est très intéressant, et à cette occasion, c'est le camarade Hysni Milloshi, représentant du PCA, récemment légalisé, qui prendra parole.

Je voudrais souligner que je serais très heureuse si je pouvais parler de la lutte de la classe ouvrière, de ses succès au cours de ces dernières années et des perspectives qui s'offrent à elle à la veille du 21e siècle. Malheureusement, en Albanie, pour l'instant, il n'y a plus de classe ouvrière, dans le vrai sens du mot. Il y a beaucoup de sans-emploi, de prolétaires prêts à vendre leurs bras et leurs forces, mais il n'y a en effet plus de classe ouvrière, et certainement pas non plus au pouvoir. Des forces obscurantistes ont renversé le système socialiste en Albanie avec une férocité barbare, et au contraire de ce qui s'est passé dans les autres pays ex-socialistes, ces forces ont ruiné complètement notre industrie ainsi que toutes les richesses que le peuple albanais avait créées au prix de grandes sacrifices durant les cinquante années du Pouvoir populaire sous la direction du PCA (PTA) et d'Enver Hoxha. Hormis quelques centrales hydroélectriques, aucune usine n'est restée debout. Les machines et l'outillage ont été détruits et revendus à l'étranger, comme de la vulgaire ferraille destinée à être refondue. On a jusqu'à enlevé les traverses des voies de chemin de fer pour les revendre en Yougoslavie, via le Monténégro.

Comment les Albanais en sont-ils arrivés là? C'est difficilement concevable. Ce sont eux qui ont bâti le pays avec un grand enthousiasme. Pendant 45 ans, ils ont travaillé et vécu tranquillement, honnêtement et dans l'union. Une personne se suicide lorsqu'elle est extrêmement désespérée. Cette autodestruction du peuple albanais semble être le signe d'un immense désespoir. Il s'est senti abandonné à la croisée des chemins. Mais le peuple albanais a toujours été fort, courageux, fier et honnête. C'est un peuple soudé, avec des vertus et une culture millénaires, et on ne pourrait changer son caractère en cinq ans. Mais ce qui s'est passé en Albanie démontre le caractère inhumain du capitalisme et de l'impérialisme.

L'Albanie est le seul pays d'Europe où 60% de la population est rurale. La collectivisation des terres (à part cette personnelle) s'est étendue à tout le territoire. La vie des habitants était modeste, surtout dans les villages montagneux (il faut savoir que les 2/3 de l'Albanie sont occupés par des régions de montagnes), mais leur existence avait complètement changé si on la compare à l'époque du roi Zog. Chaque village avait son école, son centre médical et sa maternité. Le téléphone et les rues pavées ont donné aux paysans la possibilité de modifier profondément leur existence. L'électrification de tous les villages, mêmes les plus éloignés, répandant la radio, la télévision, et toutes les autres appareils, c'était une vraie révolution.

Aujourd'hui, les coopératives agricoles ont été liquidées, toutes les plantations d'agrumes et les oliveraies sont retournées à l'état de friche, les paysans possèdent la terre, mais comme de petits capitalistes, dans une société capitaliste primitive en train de faire ses premier pas, ils ne peuvent pas cultiver leurs terres vu le manque de moyens mécaniques et d'engrais chimiques, car ils n'arrivent pas à s'en procurer. Tout le système de bonifications qui avait été mis en place pendant le pouvoir populaire est détruit désormais. Les marécages se sont reconstitués et la malaria a fait sa réapparition, tandis qu'à notre époque, il était impossible d'en trouver ne fût-ce qu'un seul cas pour le montrer aux étudiants en médecine. Les autres maladies endémiques, comme la tuberculose, se sont manifestées elles aussi. Les centres médicaux dans les villages n'existent plus et les écoles non plus n'ont pu échapper à la destruction générale. Le Pouvoir populaire, conformément au programme du Parti du Travail, en avait construit partout en Albanie, même dans les zones montagneuses les plus éloignées, et des centaines d'instituteurs et de médecins ont travaillé avec passion afin de développer ces zones. Quant le Parti Communiste a pris le pouvoir, 85 à 90% de la population albanaise était analphabète, et il n'y avait que 360 intellectuels à détenir des diplômes, qu'ils avaient obtenus dans des universités étrangères. En très peu de temps, l'analphabétisme a été éliminé et deux ou trois décennies plus tard, toute la jeunesse des villes ou des villages terminait au moins le cycle d'enseignement obligatoire (en huit années). Au début des années 90, le plan prévoyait que 70% des élèves devraient suivre des études secondaires, soit dans l'enseignement général (lycées), soit dans l'enseignement technique ou professionnel. Il y a une particularité, dans le domaine de l'instruction en Albanie. Historiquement, les cinq siècles du joug ottoman ne sont pas parvenus à venir à bout de la langue albanaise. Les Albanais ont dû modifier leur foi de force, mais ils ont toujours lutté pour conserver leur langue, qui a été le symbole de l'unité nationale, et elle est toujours restée la même. Néanmoins, le fanatisme musulman a laissé ses traces. Quand l'Albanie s'est libérée en 1944, dans certaines régions et surtout dans des villes, les femmes portaient le "cader" (comme en Algérie), qui chez nous, était noir. Dans les villages, les femmes ne portaient pas le cader, mais elles étaient tout aussi opprimées par les hommes. Le Parti Communiste a tout fait pour les femmes. Ses militantes ont travaillé avec zèle et ardeur pour les attirer dans les écoles et les écoles n'ont pas tardé à être mixtes (filles et garçons). C'était un grand pas vers l'émancipation non seulement de la femme, mais encore de toute la société albanaise. Pendant les 45 années de Pouvoir populaire, les universités de notre pays et partiellement les universités étrangères ont formé plus de 300.000 spécialistes, hommes et femmes, dans tous les domaines scientifiques, sociaux et culturels.

En sept ans de régime démocratique, l'analphabétisme a réapparu, les enfants ne vont plus à l'école mais sont obligés de s'occuper du bétail ou de travailler aux champs. Même dans la capitale, Tirana, on voit des filles qui portent le voile imposé par les missionnaires de la religion musulmane, qui veulent nous faire retourner en arrière dans les temps d'obscurantisme médiéval. Au nom des libertés soi-disant démocratiques se sont répandues tels des champignons vénéneux de nombreuses églises et mosquées, ainsi que diverses sectes religieuses que l'on n'avait jamais connues en Albanie.

La religion a toujours voulu diviser notre peuple, mais nos grands hommes de la Renaissance nous ont laissé un dicton : "La religion des Albanais, c'est l'Albanie." Fidèles à cette maxime historique, d'ordre patriotique et en même temps révolutionnaire pour l'unité nationale émancipatrice, le Parti du Travail et Enver Hoxha ont décidé de faire de l'Albanie un État athéiste.

Actuellement, en Albanie, les jeunes ne voient aucune perspective d'études et de travail. L'Albanie est un pays où l'âge moyen de la population est de 26 ans, à la différence des autres pays d'Europe où la population a fortement vieilli. Telle est la cause des exodes massifs de notre jeunesse qui prend d'assaut les navires qui accostent dans nos ports afin de s'enfuir en Italie ou qui vont jusqu'à risquer leur vie pour passer en Grèce. Tous ces jeunes ont pris le chemin de l'Europe ou de l'Amérique où ils travaillent désormais comme des esclaves. Pour cacher cette pitoyable réalité, le clan de Sali Berisha, avec l'aide des ses parrains, a construit des fondations de rentes pyramidales qui ont englouti tout l'avoir du peuple albanais. Les gens ont vendu leurs maisons et leur bétail afin d'investir leur argent dans ces schémas pyramidaux que l'on a présentés comme le miracle du capitalisme albanais. Et le comble du malheur, c'est que même l'argent de l'émigration, gagné par les Albanais au prix de grands sacrifices, s'est retrouvé englouti dans ces pyramides. On dit qu'en tout c'était a peu près un milliard de dollar perdu. On peut s'imaginer qu'est-ce que cela représentait pour un petit pays comme l'Albanie. Avec cet argent, Berisha a acheté les votes, corrompu des juges et des procureurs, il a payé des mercenaires chargés de le défendre, il a libéré de prison des criminels qu'il a utilisés pour battre et blesser les militants socialistes et communistes et les autres opposants, lorsque ceux-ci ont manifesté contre lui, mettre des explosifs dans les bâtiments publics et privés, afin de terroriser le peuple.

Sali Berisha est allé si loin, avec son anticommunisme et ses méthodes dictatoriales, que le peuple s'est révolté. La révolte a éclaté à Vlora, notre capitale de 1912 où a été proclamée l'indépendance, et dans toutes les villes du Sud de l'Albanie, avant de se propager du Sud au Nord du pays. La population révoltée a pris les armes et a enfin réussi à obliger le clan de Sali Berisha, qu'on a surnommé "le clan des bandits", à abandonner le pouvoir. Encore une fois, les grandes puissances, très inquiètes de la révolte populaire et du fait que le peuple était en armes, sont intervenues par le biais de leurs institutions euro-atlantiques, de l'OESC, et avec l'aide de tous les partis politiques, de gauche ou de droite, de leurs leaders social-démocrates ou réactionnaires, elles ont formé en toute urgence un gouvernement "d'appréhension", elles ont appelé à l'aide les forces militaires internationales de l'ONU, sous prétexte de garder la paix en Albanie. Le président Berisha, qu'elles ont installé au pouvoir et qui n'est autre qu'un dictateur et un criminel, a été sauvé et le peuple en révolte a donc été trahi.

Mais notre peuple, conscient de son rôle dans des situations catastrophiques pour l'existence et l'avenir de l'Albanie, a décidé, lors des élections, de donner avec sa vote un coup décisif au Parti démocratique et à son leader Sali Berisha. Les élections anticipées ont été un plébiscite populaire qui a donné 2/3 des sièges du parlement aux socialistes, qui exercent le pouvoir aujourd'hui, en coalition avec d'autres petits partis. Le Parti démocratique n'a gagné aucun député dans la capitale, ce qui prouve à suffisance le ressentiments du peuple à l'égard de Sali Berisha.

Le Parti socialiste est au pouvoir depuis dix mois, mais des couches entières de la population ne sont pas contentes du gouvernement de Fatos Nano, le leader du PS. Il met tout en ouvre pour assurer le soutien des grandes puissances et des forces anticommunistes intérieures et il s'est complètement et définitivement détaché de l'héritage du Parti du Travail d'Albanie. Avec la légalisation du Parti Communiste, le Parti Socialiste va perdre certainement une bonne part de son électorat désillusionné à propos de sa politique. Les Albanais ont compris depuis longtemps que les grandes puissances veulent éterniser la crise en Albanie. Les Albanais se demandent: Pourquoi a-t-on promis tant de choses à l'Albanie et qu'on n'a rien fait? On organise des réunions à Rome, à Londres, à Strasbourg et ici, à Bruxelles, on parle d'aide, d'investissements, de mini-plans Marshall etc., mais jusqu'aujourd'hui, rien n'est sorti de vraiment concret.

On se dit: il faut assurer l'ordre public, mais c'est impossible si la mafia internationale continue à alimenter le crime, la contrebande, et tout un panel d'autres phénomènes que l'on n'avait pas connus auparavant, comme le trafic de stupéfiants, la prostitution, etc. Pour les Albanais, il est inacceptable que certaines instances des grandes puissances d'Europe et d'outre-Atlantique défendent ces politiciens, mêmes ceux qui ont détruit l'Albanie.

Une autre angoisse s'est ajoutée, pour les Albanais. Par des massacres barbares de la part de la Serbie de Milosevic contre nos frères du Kosovo sont éliminé des familles et des villages entiers. Cela constitue un signe avant-coureur des anciens plans des Serbes de réaliser l'épuration ethnique des territoires où les Albanais ont vécu depuis des siècles, bien avant le VIIe siècle quand les Slaves serbes sont apparus dans les territoires du Kosovo.

Pourquoi, le Groupe de Contact des grandes puissances réunies à Bonn et récemment à Rome, donne du temps à Milosevic? Ainsi, l'indifférence et le temps perdus en ne prenant pas de sanctions sévères contre la Serbie, ce pays chauviniste et le plus agressif au sein de l'ex-Fédération yougoslave, continue à terroriser la population albanaise du Kosovo et prépare ainsi le terrain militaire et menace non seulement l'Albanie mais toute la région des Balkans, voire même au-delà. La majorité socialiste et la coalition qu'elle dirige font des appels à l'OTAN afin qu'elle envoie des forces militaires au Kosovo. Les partis de droite liés au Parti démocratique vont plus loin encore en exigeant qu'on octroie à l'OTAN des facilités d'entrée en Albanie via ses ports. Tel est le but des États-Unis et de la Communauté européenne en alimentant la crise en Albanie: pouvoir mettre les pieds en Albanie, qui est le point stratégique où se croisent les voies de trois continents. Car tel est le malheur qui a toujours suivi l'Albanie. Ce petit pays, tout au long de son histoire, a toujours été la proie des puissances situées à l'Est, à l'Ouest, au Nord et au Sud, qui la convoitaient afin de se la répartir entre eux et d'avoir ainsi un point leur permettant l'accès aux trois continents.

Mais le peuple albanais a lutté contre les fascistes et a gagné, il a construit le socialisme en faisant des grandes sacrifices et il méritait amplement ce socialisme.

J'ai la ferme conviction que le peuple n'a pas oublié et qu'il luttera de nouveau pour l'indépendance et la souveraineté de l'Albanie et du socialisme.

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